Ramayana et Genèse hébraïque

 
Version pdf

Gaura Krishna

 

Nombre d’Ecritures renferment, sous forme symbolique, l’exposition de la sagesse universelle, de la loi cosmique, autrement dit du Sanatana Dharma. Différents vêtements habillent la même Vérité universelle. De même que les Vedas sont toujours chantés et de ce fait préservés en Inde, même s’ils ne sont plus compris, de même le Ramayana est récité et chanté de nos jours - et à Maurice on pourrait dire journellement aux quatre coins de l’île - même si la compréhension actuelle de cette écriture sublime ne concerne que sa forme ou son enseignement extérieurs. Plus que des règles de conduite, dharmiques, concernant tout être humain ou toute société quels qu’ils soient, tenus de les suivre sous peine de s’enfoncer dans la maladie de l’ego et du matérialisme à tout crin, le Ramayana renferme la quintessence de la Connaissance. La forme véhicule le fond et, même si de nos jours ce fonds n’est plus compris, l’enveloppe extérieure ainsi véhiculée permet au véritable sadhak d’avoir un jour des révélations de son enseignement ésotérique ou secret.

C’est ainsi qu’à titre d’exemple il est possible de faire un parallèle entre la Genèse hébraïque et le Ramayana.

Adam, c’est à dire Adi-Manu, le premier homme, a été créé à l’image de Dieu. Dieu lui a communiqué son propre souffle. Adam est donc Dieu manifesté. A remarquer qu’au début Adam est seul, symbolisant l’unicité, l’A-dvaita, le non-deux. A ce stade Adam est l’Androgyne, l’Ardhanarishvara. Ce n’est qu’ensuite que, à partir d’une de ses côtes, Dieu crée Eve. Eve est donc créée à partir d’Adam, Prakrti est une émanation du Brahman et non pas distincte de Cela. C’est la symbolisation de l’apparition de la dualité, avec d’un côté Adam représentant le côté Conscience, Shiva, Purusha, et de l’autre Eve représentant la Manifestation, Nature, Shakti, Prakrti. Mais ces deux sont par essence un. Contentons-nous de faire un simple parallèle avec le mariage entre Ram et Sita dans le Ramayana. Rappelons que Ram est avant tout le nom de la Conscience universelle, et que le nom de Sita signifie «sillon» et se rapporte à la terre, à la Nature, à la manifestation.

Nous voici maintenant dans le Jardin d’Eden où, rappelons-le, le temps n’existe pas, l’homme est éternel, semblable à Dieu. Il n’y a pas de temps parce qu’il n’y a pas de pensée, pas de mental. L’homme EST. Dans le Ramayana, le jardin d’Eden est Citrakut. Ram et Sita vivent en parfaite union à Chitrakut tout comme Adam et Eve vivent la même union parfaite en Eden.

C’est ensuite que tout va ‘se corser’ et que va se produire la ‘chute de l’homme’, la ‘faute originelle’. Le jardin d’Eden est sublime. En son centre se trouve un arbre, appelé l’arbre de la Connaissance. «Et l’Eternel Dieu dit : «tu mangeras librement de tout arbre du jardin, mais de l’arbre de la connaissance tu n’en mangeras pas; car au jour où tu en mangeras, tu mourras certainement.» Bien entendu Adam se conforme aux directives, étant la Conscience même. Mais Eve, Prakrti, ne va pas résister bien longtemps et va finir par plonger sous l'impulsion du désir, de l’apparition du mental, de l’ego, qui la fait chuter de l’union avec la Conscience. Elle mange du fruit de l’arbre de la connaissance discursive, c’est à dire qu’elle commence à mentaliser et donc à se diviser, à se séparer de la Conscience. C’est le début de la manifestation. L’apparition du mental, du désir, prend ici la forme du serpent, qui dit : «Vous ne mourrez certainement point si vous en mangez, car Dieu sait qu’au jour où vous en mangerez, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal». Or connaître le bien et le mal, c’est justement le plan mental, la coupure, les paires opposées, car en Vérité Divine, tout est Un. Du jour où il en a mangé, l’homme a quitté le sacré pour le profane, s’oubliant soi-même. Et il meurt. La Genèse dit : «La femme vit que l’arbre était désirable pour rendre intelligent». Tout est très clair.. Sous l’impulsion du désir, l'homme cherche la connaissance. Mais quelle connaissance aurait-il à chercher puisqu’il EST la Connaissance même ? Il s’agit bien entendu de la connaissance relative, qui nous fait croire que le mental est source de toute connaissance. L’homme s’imagine être semblable à Dieu sans avoir conscience qu’il n’est plus qu’un dieu mental. C’est aussi tout le symbole de Lucifer, symbole du mental : le porteur de lumière, oui, mais de lumière mentale, d’où sa chute. L’arbre est désirable pour cultiver le mental. Mais combien de grands savants sont les rois des imbéciles ! Ils connaissent alors qu’ils sont nus, naissance de la connaissance mentale. Dieu dit «qui t’as montré que tu étais nu ?». Le mental, bien entendu… Ayant quitté sa source, l'homme s’aperçoit qu’il est nu alors qu'auparavant il n’avait aucune conscience de nudité. Peut-on donner à Dieu le qualificatif de ‘nu’ ?

En résumé, dès qu’il y a apparition de la dualité, il y a apparition du mental et de ce fait une tombée dans le domaine relatif. L’homme quitte sa source, son Soi profond et s’imagine de ce jour en être différent. C’est la tombée du sacré dans le profane alors qu’il n’y avait auparavant aucune distinction, ni sacré ni profane.. Il se met à vivre dans l’illusion qu’il y a d’un côté, le sacré et de l’autre le profane

Tout comme dans la Genèse nous voyons Eve, Prakrti, seule, alors qu’Adam est au loin, dans le Ramayana, nous voyons Sita, seule, alors que Ram est parti chasser et que Lakshmana est parti le rejoindre. Et c’est alors que s’avance Ravana, l’équivalent du serpent biblique : l’ego. Ici, si la symbolique est différente, sa signification est identique. Autour de la résidence a été tracé un cercle magique, délimitant en quelque sorte le domaine divin, le jardin d’Eden. Tout comme le serpent fait entendre un son de sirène très attrayant pour amener Eve, Prakrti, à se manifester plus encore sous l’impulsion du désir, ici Ravana, l’ego, s’est déguisé en sannyasi et va de même proférer des paroles de fausse sagesse. Le but du serpent était de faire croquer la pomme de l’arbre de la connaissance, le but de Ravana va être de faire franchir à Sita la limite du cercle magique, séparant de même le domaine divin où tout est un du domaine mental où se tient l’ego. C’est donc exactement la même chose. Là encore c’est la fausse notion de «bien» (donc en opposition au» mal») qui va attirer Sita en dehors de ces limites. Sita est d’abord attirée vers Marichi apparu sous les traits d’une magnifique gazelle et demande à Rama d’attraper l’animal, ce qui va éloigner Ram de l’ermitage tout comme Eve a été éloignée d’Adam. Tout ce qui va se produire est, ici comme dans la Bible, la suite de ce ‘désir primitif’. C’est encore Sita qui va envoyer Lakshmana (qui symbolise la buddhi, le chemin vers la Conscience) vers Rama. Il reste alors à Ravana, l’ego, ce «général des rakshasas devant qui tremblent les mondes avec les Devas, les Asuras et les hommes», plein de désirs, à louer la beauté de Sita, etc..., à lui faire franchir le cercle magique. Et Sita va franchir le pas. Elle va passer le voile de Maya qu’est le cercle, où commence la distinction entre monde divin et monde profane.

La pomme mangée, le cercle franchi, c’est la chute de l’homme. Cette chute, c’est la tombée dans l’individuation, l’apparition de l’ego, le fait de se croire individu séparé. Dès ce moment l’homme devient mortel, la femme doit «enfanter dans la douleur», l’homme «travailler à la sueur de son front» pour retrouver un jour l’union divine, Eden ou Chitrakut. Tout le reste du Ramayana décrit la lutte de l’âme humaine pour retrouver l’union du Purusha et de Prakrti, tout ce que l’homme doit tuer en lui de démons pour avancer sur la route divine, sur le dharmakshetra, jusqu’au stade de la renonciation. Et l’aboutissement du Ramayana sera la victoire de Rama la Conscience sur Ravana, l’ego terrible, monstrueux, que l’on croit avoir tué mais qui resurgit avec mille têtes. Ce sera la ré-union de Ram et de Sita, de la terre et des cieux, de la Conscience et de Prakriti, les noces cosmiques de Shiva et de Parvati à Triyuginarayan, le Royaume divin, le Royaume des Cieux.